La guerre des métaux rares: vers une prise de conscience européenne ?
Le 29 septembre 2020, la Commission européenne annonce la création de l’ERMA, l’Alliance européenne des matières. Sa priorité sera de sécuriser l’approvisionnement en terres rares et en aimants, des éléments indispensables à la fabrication des technologies de pointe. Six mois seulement après le début de la crise sanitaire, cette initiative traduit une prise de conscience forte de notre dépendance à l’égard des importations de biens et services stratégiques. Longtemps cantonnée à la défense, cette notion d’approvisionnements stratégiques tend à s’élargir à d’autres domaines. C’est le cas des métaux rares qui sont au cœur de la transition énergétique et écologique.
Panorama des métaux stratégiques
Les métaux stratégiques sont les éléments de base de l’industrie moderne, dont dépendent certaines filières aussi stratégiques comme l’aéronautique, de la défense, de l’automobile ou encore l’électronique. Parmi eux se trouvent les métaux dits « rares » - présents en très faible quantité dans les produits que nous consommons mais ils n’en sont pas moins indispensables. Sans eux, pas de smartphones, ni de panneaux solaires ou de véhicules électriques. Si on les retrouve un peu partout sur terre, leur concentration est très faible et ils doivent être extrait d’autres minéraux - un processus couteux.
Les Terres rares, sont 17 métaux rares disposant de propriétés magnétiques et chimiques exceptionnelles, indispensables à la fabrication de technologies de pointes. La majorité de ces métaux sont dit « critiques » car leur approvisionnement n’est pas sécurisé. Cette criticité est fonction de leur importance économique ainsi que du risque de rupture d’approvisionnement.
Le cobalt, le lithium, le tungstène ou encore le nickel sont encore méconnus et pourtant ils forment le nouvel or gris de la transition énergétique - et leur demande explose en raison d’une utilisation accrue des nouvelles technologies. Or ces métaux sont produits en de très faibles quantités et, qui plus est, ils sont échangés sur des marchés extrêmement monopolistiques. Dans le cas des Terres rares, on l’estime à 9 milliards de dollars. Un rapport de l’Académie des Sciences et de l’Académie des technologies détaille que la quantité de lithium nécessaire si l’on veut atteindre les objectif de transition énergétique à horizon 2050 uniquement en France, devrait excéder la production mondiale actuelle. Ce même rapport alerte sur les coûts d’approvisionnement de ces métaux qui pourraient égaler ceux du pétrole à horizon 2050 soit plusieurs dizaines de milliards d’euros pour la France.
Entre course mondiale et arme diplomatique
« Les Terres rares sont à la Chine, ce que le pétrole est au Moyen Orient » Deng Xiaoping, ancien leader de la République Populaire de Chine
La production de ces métaux est extrêmement localisée et concentrée dans quelques pays. Le lithium est principalement extrait en Australie, au Chili, en Bolivie et en Argentine. Le Cobalt provient majoritairement de la République Démocratique du Congo. La Chine bénéficie quant à elle d’une position de quasi-monopole sur l’extraction et le traitement des terres rares - près de 90% d’entre-elles, sont ainsi extraites et traitées en Chine.
Cette situation est le fruit de choix économiques, écologiques et politiques. Jusqu’à la fin des années 80, les États-Unis et le France étaient les leaders mondiaux de l’extraction et du traitement des métaux rares, mais, pour des raisons économiques et écologiques, ils ont progressivement abandonné la production, alors que dans le même temps la Chine ouvrait des mines et investissait massivement dans des usines de traitement.
Pékin ne s’arrête pas là: des entreprises chinoises investissement également dans les autres pays producteur notamment en Afrique et en Amérique Latine. En contrôlant la majorité des approvisionnements, Pékin dispose d’une véritable arme diplomatique. Concrètement, une rupture des approvisionnements en métaux rares provoquerait le blocage des chaînes de montage. Un précédent existe: en 2010, suite à une différend territorial, le Chine décide d’interrompre brutalement ses exportations de métaux rares vers le Japon, paralysant une partie de son industrie. Dans le même temps, elle instaure des quotas d’exportation, poussant les grands consommateurs (Etats-Unis, Union Européenne et Japon) à porter l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce.
En réponse, les États-Unis se sont lancés dans une stratégie d’émancipation en misant sur l’indépendance. Celle-ci passe notamment par la réouverture de mines dont celle de Mountain Pass en Californie qui abrite 16 des 17 Terres rares. Elle était jusqu’aux années 80, la principale source de métaux stratégiques de la planète avant de progressivement cesser ses activités pour des raisons économiques et environnementales. Cette prise de conscience s’est par la suite accentuée dans un contexte de guerre commercial entre l’administration Trump et la Chine.
Une prise de conscience européenne tardive
"Entre 75 et 100 % de la plupart des métaux que nous utilisons proviennent de pays non-membres de l'UE, la Chine fournit 98 % de notre approvisionnement en terres rares" Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne
Côté européen, on constate depuis quelques années une prise de conscience de cette dépendance - prise de conscience qui s’est accentuée avec la crise sanitaire. Depuis janvier 2021, l’Union européenne impose une transparence et une traçabilité des métaux afin de sécuriser les approvisionnements et d’éviter que ces métaux ne proviennent de régions en conflits. La Commission ne compte pas s’arrêter là. Dans le cadre du Pacte Vert, elle ambitionne de renforcer son autonomie stratégique afin d’éviter que la dépendance actuelle à l’égard des combustibles fossiles ne soit substituée par celle des matières premières critiques nécessaires à la transition énergétique.
Dans son rapport « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité » quatre piliers ont été identifiées afin d’assurer l’autonomie stratégique européenne. La diversification et le renforcement des sources d’approvisionnement hors Union européenne est la première des priorités. Elle passe par la négociation et la mise en place de partenariats stratégiques avec des pays richement dotés en ressources. La deuxième des priorités est la valorisation des ressources intra-européennes. L’Europe dispose d’un fort potentiel minier mais celui-ci est largement sous-valorisé pour des raisons économiques, politiques et environnementales. D’après un étude menée par le BRGM en 2018, la France dispose d’un potentiel exploitable de 200 000 tonnes de lithium, soit assez pour devenir autonome. L’exploitation de matières critiques pourrait alors se substituer à celle du charbon ce qui aurait un impact social et environnemental positif et faciliterait le transfert de compétences, comme c'est déjà le cas en Allemagne et en Pologne. Dans d’autres régions en revanche, tout reste à faire et les populations locales craignent de potentielles conséquences environnementales comme dans le nord du Portugal où des projets de mines de lithium sont à l’étude. Enfin, des deux dernières priorités sont l’utilisation circulaire des ressources en favorisant l’utilisation de matières premières secondaires, déjà utilisées et la création de chaînes de valeurs industrielles résilientes, capable de faire face aux crises.
Les projets de relocalisation sont loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion publique pour des raisons environnementales et sociales. Les inquiétudes grimpent notamment dans le sud de l’Europe, au Portugal et en Espagne, où des projets de mines voient le jour. De fait, l’extraction des métaux rares est une activité très polluante. L’utilisation de solvants et de grandes quantités d’eau sont nécessaires afin de les extraire du minerai brut. Les eaux usées contaminées, parfois radioactives sont généralement déversées directement dans la nature, les normes n’étant pas présentes ou peu respectées.
« Nous réduirions notre dépendance économique et nous en finirions avec une certaine hypocrisie consistant à consommer chez nous des biens dont la fabrication cause d’importants dégâts environnementaux à l’autre bout de la planète » Guillaume Pitron
L’intérêt d’extraire les ressources stratégiques sur le sol européen et d’assurer la production des technologies nécessaires à la transition énergétique est double. D’une part, il s'agit d'assurer l’indépendance énergétique européenne et d’autre part de réduire l’empreinte environnementale des produits que nous consommons en maîtrisant les processus d’extraction et de production et en renforçant drastiquement la réglementation même s’il est certain que l’extraction minière ne sera jamais une activité totalement propre. Sans cela, il est difficile d’envisager une neutralité carbone européenne à horizon 2050 et comme le rappelle Guillaume Pitron, ouvrir des mines sur notre sol pour répondre à notre demande, c’est un moyen de sensibiliser les citoyens sur les conséquences directes de nos modes de consommations, y compris ceux présentés comme « durables ».
« Le problème, c’est qu’avec les métaux rares, les pays riches ont délocalisé la pollution et refusent de voir les conséquences environnementales catastrophique de cette décision » Guillaume Pitron
Le recyclage, la moins mauvaise des solutions
Aujourd’hui, moins de 5% des métaux rares sont recyclés en Europe, et ce taux chute aux alentours des 1% lorsqu’il s’agit des terres rares. Pourtant, le recyclage est la façon la plus efficace d’allier indépendance et sobriété. Un recours accru au recyclage et donc aux métaux dits secondaires offrirait une réduction drastique de la consommation primaire. Toutefois, cela demande des efforts en matière de recherche.
A l’heure actuelle 95% des éléments sont récupérables ce qui signifie que nous savons déjà recycler. Le problème n’est pas donc pas technologique mais économique. Des investissements lourds sont nécessaires pour de construire les usines de recyclage. Or, le marché est pour le moment inexistant donc aucun acteur privé n’a intérêt à se lancer sur ce marché d’autant plus que les métaux primaires sont plus compétitifs que les secondaires; si bien qu’il n’existe pour l’heure par réellement de filière techniquement crédible, économiquement compétitive et écologiquement. Pour autant, l’Europe bénéficie d’atouts compétitifs dans le recyclage des métaux. Elle dispose d’un tissu d’entreprises métallurgiques conséquent ainsi que de multiples acteurs impliqués dans des travaux de R&D.
« Sans vouloir faire rimer sobriété avec décroissance, la meilleure énergie reste assurément celle que nous ne consommons pas. » Guillaume Pitron
Les métaux rares sont au cœur des défis actuels de nos sociétés : transition énergétique, recherche d’indépendance, relocalisation industrielle et progrès technologique. Le risque est que la dépendance actuelle envers les énergies fossiles mute. L’enjeux pour faire face à cette nouvelle dépendance n’est pas de revenir en arrière car nous n’avons pas le choix, mais de faire mieux avec moins en incluant davantage de circularité et de sobriété dans l’utilisation des ressources. Il est nécessaire de prendre conscience que la transition énergétique et écologique ne se résume pas que des technologies vertes. C’est aussi, la sobriété énergétique et la sobriété dans la vie de tous les jours.
Sources :
https://classe-internationale.com/2019/04/23/les-terres-rares-les-pierres-philosophales-du-xxieme-siecle-2/