La diplomatie d’Emmanuel Macron au prisme du Liban
[Avec cet article, Benjamin s'est hissé à la première place du concours du Diplo d'Or 2022]
« En résumé, je dirais qu’il a été bon en dissertation mais très mauvais en travaux pratiques », cette citation tranchante du chercheur en relations internationales Bertrand Badie illustre en partie la politique étrangère d’Emmanuel Macron. Bien que la formule soit acerbe et peu nuancée, elle permet de donner en quelques mots des clés de compréhension de son action diplomatique. Lors de son arrivée à l’Elysée en 2017, il affiche de fortes ambitions dans ce domaine, souhaitant donner une nouvelle impulsion à la diplomatie française. Cinq ans après, qu’en est-il ? Peut-on parler d’une « révolution macronienne », constituée de ruptures effectives par rapport à ses prédécesseurs ?
Une redéfinition de la politique étrangère française ?
Emmanuel Macron ambitionne de restaurer le prestige et l’indépendance de la France sur la scène internationale. Il souhaite être le moteur de grandes politiques internationales que ce soit dans les relations bilatérales ou multilatérales (Union Européenne, conférences internationales...). Invoquant le spectre de l’héritage gaullo-mitterrandiste en politique étrangère, le Président multiplie les initiatives tout au long de son mandat et adopte un style original.
Différents facteurs caractérisent les cinq ans de politique étrangère du Président Macron. Annoncée comme une politique disruptive, certains éléments vont pourtant s’inscrire dans la continuité et l’héritage d’autres phénomènes. Tout d’abord, il a la volonté de replacer la France sur la scène internationale, voulant passer de « la France une puissance moyenne, d’influence mondiale », théorisée par l’ancien ministre des Affaires Etrangères Hubert Védrine, à « la France, puissance d’équilibre ».
Il développe son propre style à travers une mise en scène de ses relations avec ses interlocuteurs internationaux. Ainsi que des effets d’annonces accompagnés de grands discours et une importance de la communication autour de différentes initiatives. Enfin, Emmanuel Macron resserre les cercles stratégiques de prises de décisions autour de l’Elysée, renforçant la verticalité du pouvoir induite par la Vème République. La cellule diplomatique de l’Elysée devient centrale dans la réflexion et la constitution de politiques étrangères, accentuant les tensions avec les diplomates du Quai d’Orsay, dont le Président a tendance à se méfier.
L’exemple libanais, une volonté de mettre en place une politique étrangère disruptive ?
Le 4 août 2020, une explosion au port de Beyrouth détruit une partie de la ville et entraîne la mort de 215 personnes et de 6500 blessés. Cet évènement tragique s’additionne à une crise économique et des tensions politiques, qui paralysent le Liban depuis des années. Le pays du Cèdre, à tort ou à raison, reste dans l’esprit d’une partie des diplomates, comme l’un des derniers pré-carré français dans la région. Le Président décide alors rapidement d’une visite officielle au Liban, en réaction à l’explosion et à la crise humanitaire qu’elle entraîne. La visite est préparée en seize heures, Emmanuel Macron arrive à Beyrouth le 6 août. Il s’entoure d’une équipe expérimentée, qui connaît bien le pays. Elle est notamment composée d’Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique du président et ancien ambassadeur au Liban, et de Bernard Emié, chef de la DGSE et également ancien ambassadeur au Liban. Cela confirme la prééminence des services diplomatiques proches du Président, au détriment de la diplomatie traditionnelle du ministère des Affaires Etrangères.
Emmanuel Macron souhaite répondre à une double urgence, la crise humanitaire et le besoin de réformes politico-économiques plus profondes pour permettre au Liban de survivre à un lent effondrement. Un mécanisme d’aide humanitaire est rapidement mis en place, avec une collecte de fond ayant permis de réunir environ 280 millions de dollars. Il réclame une enquête internationale sur l’explosion, pour faire émerger la vérité sur les raisons qui l’ont entraînée. Des réunions sont organisées entre le président français et les principaux représentants des partis politiques libanais, puis avec des acteurs de la société civile. Les objectifs sont de permettre un « dialogue national », nécessaire au redressement du pays et permettant d’engager des réformes structurelles notamment sur la question économique.
Les aspirations françaises exprimées lors de la visite du 6 août sont importantes et suscitent de grandes attentes des Libanais. Emmanuel Macron déclare lors d’un bain de foule dans le quartier de Gemayzeh : « Je vais leur proposer un nouveau pacte politique cet après-midi et je reviendrai pour le 1er septembre et s’ils ne savent pas les tenir (les engagements, NDLR), je prendrai mes responsabilités avec vous ». La visite du 1er septembre 2020, soit 100 ans après la proclamation de l’Etat du Grand Liban par la France, entérine la nomination de Moustapha Adib comme Premier Ministre. Chef de gouvernement éphémère, il n’arrivera pas à constituer un « gouvernement d’experts », dépassant les clivages politico-communautaires, et démissionne le 26 septembre.
Les raisons derrière l’échec libanais, symptomatiques des errements de la diplomatie « macronienne » ?
Le Liban est un pays aux dynamiques politiques complexes. La classe politique issue de la guerre civile qui a ravagée le pays, est à la tête d’un vaste système de redistribution communautaire des ressources, assimilable à un clientélisme teinté de corruption, qui permet leur maintien aux postes clés et empêche l’application de réformes profondes. Emmanuel Macron a voulu bousculer ce système, il s’est cependant heurté aux vétérans de la politique libanaise. A l’image de son entretien avec Nabih Berry, président du Parlement depuis 1992 et leader du mouvement chiite Amal. Il lui demande des efforts pour la constitution d’un gouvernement, et n’a pour réponse qu’un « incha’allah », une forme de promesse dans le vide. Cela montre le décalage entre certaines maladresses de la démarche diplomatique française et le fonctionnement politico-social du Liban.
Le Président français a tenté un coup d’éclat au Liban, caractéristique de la « diplomatie macronienne ». La dynamique qu’il a voulu impulser n’a pas été suivie sur la durée, et n’a pas permis de changements en profondeur. Plusieurs raisons permettent de comprendre cet échec. La rhétorique d’Emmanuel Macron n’a pas été suivie par une logique opérationnelle et de mise en œuvre sur le long terme par le corps diplomatique, reflétant le manque de concertation entre l’Elysée et le Quai d’Orsay. Cependant, on ne peut imputer cet échec uniquement à la partie française, les responsables libanais n’ont pas fait preuve d’une réelle volonté de réformes. Ces derniers, bénéficient du facteur temps, et peuvent faire la sourde oreille, face à un chef d’Etat français, qui est présent pour un mandat de cinq ans. L’une des erreurs a été de concentrer les efforts sur la classe politique, la légitimant et négligeant la société civile, active et potentielle moteur de changements structurels sur la durée.
De plus, les attentes suscitées par la rhétorique du Président Macron, le transformant en une forme d’homme-providentiel pour le pays du Cèdre, se sont confrontées à la réalité de la puissance française sur la scène internationale. La mission française n’a pas réussi à réunir d’autres puissances influentes et des parrains régionaux à l’image de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite pour permettre la mise en place d’une politique multilatérale et durable.
L’initiative française au Liban, incarnée par Emmanuel Macron, interroge sur la réalité d’une révolution « macronienne ». La personnification de la politique étrangère par le Président, au détriment de la diplomatie traditionnelle et sans concertation sur le long terme avec d’autres puissances a montré ses limites. Plus globalement, le dossier libanais est le reflet d’une volonté de coups diplomatiques, censée démontrer la capacité motrice de la France dans un monde post-bipolaire et globalisé.
Bibliographie :
Georges Malbrunot et Christian Chesnot, Le déclassement français, 13/01/2022
Anthony Samrani, "Dans les coulisses de l'initiative française au Liban : Macron au secours du Liban", L'Orient-Le Jour, 28/10/2020
Anthony Samrani, "Comment le Liban a fait de Macron un apprenti sorcier", L'Orient-Le Jour, 06/08/2021
Michel Duclos, "La diplomatie d'Emmanuel Macron ou le risque de la solitude stratégique", Institut Montaigne, 11/09/2021
"Politique étrangère de la France, y'a-t-il une marque Macron", débat avec Bertrand Badie et Marc Endeweld sur RMC, 15/01/2021
Image : Les gens lèvent des drapeaux pendant la nuit photo – Photo Beyrouth Gratuite sur Unsplash